lundi 11 mars 2024

L'arme fatale

On ne le répètera jamais assez : le jeu de balle ovale porte un nom - Football-Rugby - qui raconte sa pratique mieux qu'une thèse ne le ferait, et a fortiori cette chronique. Il y a presque un siècle de cela, le drop-goal était le geste le mieux payé du rugby : jusqu'en 1948, il rapportait quatre points. L'atypique demi de mêlée toulousain Yves Bergougnan frappa le dernier, avant que le rapport qualité-prix du coup de pied tombé soit ramené à trois. C'était d'ailleurs face à l'Angleterre.
L'Histoire nous offre parfois de belles coïncidences. Cette année 1948, dans le Tournoi renaissant, le XV de France battit pour la première fois les Gallois chez eux. Dimanche dernier, c'est un record de points inscrits que les Bleus du capitaine Alldritt ont déversé sur Cardiff, quarante-cinq, au terme d'une rencontre contrastée : du rugby à 7 en première période à force de laisser la défense ouverte, avant d'offrir une performance plus compacte.
La veille, la Rose et son Marcus avaient marqué l'Irlande au fer de la plus grande frustration. D'un drop-goal, donc, l'ouvreur remplaçant anglais crucifia les espoirs de Grand Chelem de ses adversaires à la façon d'un Jonny Wilkinson décrochant le titre mondial en 2003 devant l'Australie médusée. Un drop, c'est cruel et ça pique, c'est un coup d'estoc. En l'occurrence, un point final placé par ce Mr. Smith qui ne s'imaginait pas connaître pareille fête.
La plaie n'est toujours pas refermée. En creux, j'ai immédiatement pensé à ce qui avait manqué au XV de France pour vaincre les Springboks en octobre dernier. Un drop-goal à la dernière minute, mais c'est bien sûr... Au lieu de râler contre l'arbitre. Un drop de Thomas Ramos, d'Antoine Dupont, de qui vous voulez, pour que la France affronte l'Angleterre en demi-finale de ce Mondial. Sous la pluie. A voir la joie immense des Anglais, j'imaginais celle que les Tricolores nous auraient fait partager...
Notre bon vieux Tournoi, et c'est une de ses forces, va nous offrir cette affiche pour clore la présente édition. Difficile d'imaginer meilleur scenario. L'Irlande, l'Angleterre, voire l'Ecosse et la France mais ce sera plus difficile, peuvent décrocher au finish la première place. Le drop-goal de Marcus Smith dans un Twickenham en transe et le bonus offensif français à Cardiff ont changé la donne. Un Crunch ne manque jamais de mordant, et ce France-Angleterre promet d'être, en plus, savoureux. A plus d'un titre.
Libérée et parfois en maîtrise, équilibrée dans ses lignes et tranchantes à l'occasion, l'équipe de France rajeunie par obligation au moment où le doute pouvait s'immiscer dans les esprits n'a pas failli devant l'obstacle qui se présentait à Cardiff et dont personne, avant le coup d'envoi, ne pouvait imaginer qu'il serait sauté avec autant de facilité. On a vu, à l'occasion, quelques "anciens" reboostés au contact de la nouvelle génération. Trajectoire rectifiée, donc.
Mais une victoire, dans le Tournoi, n'a de valeur qu'à l'aune du prochain match. Par principe. Tout succès demande confirmation. Fort en symboles, ce France-Angleterre place donc les hommes de Fabien Galthié sur une étroite corniche le long de laquelle il leur faudra avancer sans verser. Aujourd'hui, ils sont plus grisés que stressés, plus impatients qu'inquiets. L'emporter, samedi soir, et s'ouvrirait une nouvelle ère. Chuter après le petit sommet de Cardiff impliquerait de remonter un bloc de contrariétés. Une telle perspective ne rend personne heureux.

dimanche 3 mars 2024

Miser sur Cardiff

Pour un euro, offrons-nous un club de rugby plus que centenaire, cinq fois champion de France. Jamais forces divergentes ne furent autant à l'œuvre qu'à Biarritz. A l'heure où le XV de France convoque pléthore de Toulousains pour les faire jouer contre-nature un jeu de dépossession pour lequel ils ne sont pas formatés, on se souvient que les Galactiques - Brusque, Traille, Bernat-Salles, Peyrelongue, Yachvili, Th. Lièvremont, Harinordoquy, Betsen, Thion, Couzinet, Avril, August - décorèrent pendant une décennie l'équipe nationale dans le Tournoi, les Coupes du monde et les tournées.

Ce triste épisode raconte à quel point aujourd'hui la plupart des clubs d'élite est dépendante de mécènes, de sponsors, de partenaires industriels, mais surtout de milliardaires-propriétaires pour exister. Et si l'un d'eux, pour diverses raisons, venait à manquer, alors la chute serait quasi-immédiate. Et sans filet, comme le prouve le retrait de la famille Gave, venue investir du côté d'Aguilera après la fin de la décennie dorée généreusement soutenue par Serge Kampf, qui vit le Biarritz Olympique s'illustrer entre 2002 et 2012. 

D'autres clubs historiques ont connu semblable déroute. La palme de la disparition la plus spectaculaire revient sans conteste au Football Club Lourdais, académie de référence qui structura sous la férule de Jean Prat le jeu français comme aucun club ne l'avait fait avant. Puisque nous sommes en attente d'une performance tricolore de référence dans ce Tournoi d'après-mondial, et que nous tournons nos regards vers Cardiff, Lourdes fut en 1958 le sauveur d'un XV de France qui livra à l'Arms Park son match le plus abouti.

Référence de notre métier, mentor en ce qui me concerne, l'historien Henri Garcia me racontait il y a peu à quel point l'émotion le chavira au coup de sifflet final quand il vit les joueurs gallois accompagner respectueusement leurs adversaires vers le vestiaire tandis que le public - qui est toujours dans ce lieu à constitué d'anciens joueurs, de connaisseurs et de supporteurs respectueux - applaudissait à tout rompre ce succès français acquis avec la manière, standing ovation qui mit les larmes aux yeux de mon estimé confrère. 

Après avoir placé toute sa confiance dans les perdants du quart de finale d'octobre dernier, notre entraîneur national est désormais contraint de lancer, et pour seulement un tiers, une nouvelle génération tricolore - Nicolas Depoortere, Emilien Gailleton, Nolann Le Garrec, Marko Gazzotti, Posolo Tuilagi - qu'il est impossible d'ignorer. Les Gallois, eux, on déjà effectué cette bascule et alignent des gamins talentueux qui n'ont qu'une vingtaine d'années et enthousiasment par leur fraîcheur, leur culot et leurs prises d'initiative. De ce point de vue, nous sommes déjà battus. 

En période de doublons, le Stade Toulousain nous régale. Alors pourquoi ne pas profiter de cette dynamique pour donner au XV de France le style qui lui convient le mieux, celui du jeu à la main, ce jeu debout que, depuis Pierre Villepreux jusqu'à Ugo Mola en passant par Guy Novès, les techniciens toulousains ont porté à incandescence ? Plutôt que de persévérer dans la dépossession qui finit par ressembler à une négation de rugby, surtout quand on sait qu'aujourd'hui, les arbitres internationaux sanctionnent allégrement le gratteur...

Avouons-le, cela fait maintenant plus de six mois que le XV de France nous laisse sur notre faim, aligne de molles prestations plutôt que de solides performances et, qu'en l'absence de son capitaine Antoine Dupont parti s'amuser comme un petit fou à 7 devant les tribunes vides de Vancouver et de Los Angeles, ses anciens coéquipiers peinent à se faire trois passes dans le bon tempo et ne parviennent pas à remporter convenablement des matches à leur portée qui finissent, à notre grand dam, par leur échapper. Il est temps de miser sur Cardiff.