lundi 30 janvier 2017

Croquer n'est pas joué

Après le retentissant succès mondial des handballeurs, dimanche dernier, à Bercy beaucoup s'attendaient à ce que le rugby et sa sortie annuelle en smoking, à savoir le Tournoi des Six Nations, passent un peu inaperçus. Plus de trente ans que je suis les rebonds ovales et jamais, effectivement, je n'ai ressenti autant de distance entre cette compétition séculaire et son public de plus en plus élargi mais de moins en moins connaisseur.

La France ouvre à Twickenham, un stade qui a la particularité d'abriter un épervier sous sa tribune, surnommé Eric le Rouge en hommage à l'ancien capitaine de la Rose. Son rôle consiste à chasser les oiseaux qui voudraient trouver refuge sous les toits. Sur ce coup-là, je vous laisse chercher et trouver une métaphore qui correspond à ces vols qui échapperont complétement à l'oeil des supporteurs, samedi soir.

On aimerait que le XV tricolore s'inspire du handball français, six fois sacré sur le toit du monde, qu'il puisse transmettre autant de fierté que de joie, autant de passion que de respect. Gagnants ou perdants, que les Tricolores sortent du terrain fiers d'avoir tout donné, carbonisés mais solidaires. On souhaiterait qu'un peu d'intelligence tactique se mêle aux efforts les plus intenses. Que les Anglais souffrent jusqu'au plus profond de leur chair pour aller chercher le score.

Depuis 2010 et la dernière victoire française dans le Tournoi, Grand Chelem sous le capitanat de Thierry Dusautoir, j'ai l'impression que le XV tricolore donne beaucoup. Beaucoup (trop) d'occasions à l'adversaire de marquer, beaucoup de bâtons pour se faire battre. A vouloir offrir il s'expose ; à s'exprimer dans le jeu de passes il s'essouffle ; cherchant à séduire il se trouve des excuses. A tel point que Guy Novès - je ne connais personne qui déteste autant que lui la défaite - ne parle pas de gagner le Tournoi mais seulement «d'atteindre le plus souvent possible la cible

Cette litote témoigne d'un malaise profond : celui de la perte de confiance. Et de tout ce qu'il faut pour la regagner. Quand Jean-Frédéric Dubois, entraîneur des lignes arrière tricolores, affirme que «les Anglais ne sont pas des génies en attaque», il s'expose à une sacrée tournée de relances et, à moins qu'il n'utilise naïvement cette philippique pour aiguilloner des Anglais qui n'en ont vraiment pas besoin, vient de donner à son équipe des raisons de craindre un adversaire qui a fait du contre son arme favorite.

Avec une moyenne de trente-quatre points inscrits face à des nations du calibre de l'Australie, l'Afrique du sud et l'Argentine à l'automne dernier en autant de succès quand dans le même laps de temps nous peinions à réussir un drop-goal de misère face aux poteaux, je ne suis pas persuadé que les Anglais apprécient le jugement péremptoire du staff tricolore sur la qualité technique de leur ligne de trois-quarts. C'est ce qui s'appelle remettre de l'huile sur le Crunch.

Il y a quarante ans, le public crachait sur les avants français à leur entrée sur le terrain. Vingt ans plus tard, les tabloids faisaient leur choux gras des saillies de Brian Moore comparant les Tricolores à quinze Cantona, «aussi imprévisibles, aussi caractériels». Mais le premier joueur étranger que les responsables du Musée de Twickenham - prendez le temps de le visiter si vous faites le voyage, samedi - choisirent pour leur Hall of Fame ne fut autre que Philippe Sella.

Aujourd'hui, rien de cela. Il n'y a plus de Bastiat, de Cholley, de Palmié, d'Imbernom pour faire le coup de poing et marcher sur quelques mollets mal placés dans les rucks ; pas d'Eric Cantona pour enchanter les manieurs de fiel ; pas de Sella pour traverser le terrain à en faire fondre la défense anglaise. Erreur, pardonnez-moi, je pense à Wesley Fofana en 2013. Mais ça tombe vraiment mal, il est blessé. Et avec lui, entre les absents et les forfaits, de quoi composer une autre équipe de France.

Poirot, Chat, Ben Arous, Jedrasiak, Flanquart, Lakafia, Ollivon, Lauret, Parra, Bézy, Trinh-Duc, Plisson, Fofana donc, Dumoulin, Mermoz, Danty, Bonneval, Dulin, Médard... Rivaliser avec l'Angleterre et l'Irlande cette année ? Sur le papier, peut-être, mais pas au regard des systèmes de jeu élaborés à Londres comme à Dublin autour des turn-overs, du momentum, des contres sur les phases de conquête et du jeu au sol. Une équipe n'est pas composée que de noms.

Bon allez, hauts les coeurs ! Ce Six Nations peut tourner La La Land, bluette polychrome où il est conseillé de rêver tout haut, d'y croire pour peu qu'on soit bien accompagné, qu'on sache chanter, danser, jouer la comédie et aussi un peu de jazz au piano... Perso, ça me va. Olivier Magne, dans un entretien publié dans L'Equipe, lundi, concluait par ces encouragements : «Je veux revoir jouer les Français comme en novembre, libres de jouer devbout, de se trouver et d'être heureux ensemble.»

N'oubliez pas quand même qu'il y a autre chose qu'Angleterre-France dans la vie. On se retrouvera à 15h25 avec Ecosse-Irlande pour donner le ton de la comédie ovale, ce Tournoi toujours renouvellé et pourtant ancré dans un scenario immuable digne de Walter Scott. Comme un soupçon de pageantry dans le business.

lundi 23 janvier 2017

Reliance de l'en-but

C'est en admirant les photos des rois mages que l'évidence s'est imposée à moi. L'Equipe, cette maison mère dont je ne suis pas toujours le fils prodigue, sauf à être parfois montré en brebis noire comme un maillot all black et souvent égaré, sort un hors-série de derrière les poteaux, une relance magnifique qui relie les générations. Une reliance depuis l'en-but dirait l'ami Christophe, neuf hédonique.

Cette chaîne ovale qui nous vient du passé, Adolphe Jauréguy par exemple, et tend vers le futur enserre une question cruciale pour qui veut aller jusqu'à la fin de cette chronique écrite en rubato nocturne : qui serait le joueur actuel susceptible, dans quelques années, disons dix saisons, de s'inscrire dans une équipe type du Tournoi par delà les âges ? Une équipe qui va déjà de Christian Califano à Serge Blanco, comme vous le constaterez.

Vous pensez à qui ? Vincent Clerc, Aurélien Rougerie, Thierry Dusautoir, Frédéric Michalak ? Ceux-là sont déjà en bout de piste. J'insiste : actuels ! Au présent ! Parmi ceux de Marcoussis qui remuent de la fonte et ingurgitent du dvd en branche. Guilhem Guirado ? Uini Atonio ? Yoann Maestri ? Virimi Vakatawa ? Un autre nom vous vient comme ça, immédiatement, en tête ? Pas certain. C'est là le souci.

Quand j'ai eu ce lundi soir le hors-série en mains comme on reçoit un ballon dans le berceau, j'étais en avance sur la passe. Je devais le voir le lendemain ce florilège d'histoires ovales qui résument, ou pas, quatre-vingt sept Tournois des Cinq et des Six Nations et sortira jeudi en kiosque. Je l'ai dévoré, vous imaginez bien.. Dans l'instant. J'en sors. Et pas indemne. Comme d'un regroupement bouillant, rugueux, dans lequel Walter et Lucien mais aussi Jean-Pierre et Alain m'ont brassé la mémoire comme à Valmy.

L'évidence est celle-ci : je n'aime pas, nous n'aimons pas le rugby de résultats, de statistiques, d'arbitrage vidéo, de pause boisson, ce rugby effondrant de mêlées, de cocottes, dix à la minute, qu'on appelle temps de jeu et qui nous font languir. Nous n'aimons pas ce rugby d'impasses et de bonus, d'horaire apéritif et de recrues-jokers-signatures-transferts qui démolissent les effectifs. Non, nous aimons un rugby d'affectif.

D'une phrase, la charmante Laurence Gauthier m'a décillé, elle qui fut l'inspirant factotum de cette traversée  bleue. Elle m'a dit au moment de me remettre le premier des exemplaires sortis de l'impression : "Si j'ai bien compris, le Tournoi, ce n'est pas du rugby..." Sachez-le, Laurence a eu, contrairement à nous autres les journaleux, la pudeur de ne pas laisser son nom apparaître alors qu'elle a été l'âme de notre équipe, Dossin, Lakanal, Tavant, Bastin et Néel-Hennaux à la construction, Lalanne, Montaignac, Garcia, Carducci, Bru, Bonnot, Imakhoukhene, Delteral et Schramm à l'attaque, sans oublier l'impact de quelques plumes d'oie trempées dans l'encre d'un temps où régnait le plomb, ainsi Bénac et Frankeur.

Nous avons livré quarante pages hors du temps et elle, toute fraîche, me glissait de quoi méditer et alimenter ce blog. J'irai plus loin : si le Tournoi ce n'est pas du rugby, c'est parce que le rugby n'est pas un sport, ni un jeu. Il est trop épique pour entrer dans une administration, et révélateur de tellement d'âmes qu'il ne peut être apprécié tel un délassement, un spectacle, une parenthèse. En lisant les révélations de Garuet, en regardant couler les larmes de Magne, en serrant la grosse paluche de Spanghero, en décryptant le message de Mias, et celui de Bala, en partageant les colères de Boni, c'est de la vie dont nous parle le rugby.

Il suffit de regarder l'écroulement de la politique, l'envahissement de la pollution, l'obligation du cellophane pour toutes les activités de protection et de conservation, la misère à nos portes et les barrières plantées devant le malheur de ceux qui viennent chercher asile : la vie d'aujourd'hui est anxiogène, pathogène et nous désillusionne. Nous attendons alors du rugby, mais aussi d'autres sports qui cousinent, qu'il nous apporte un supplément de noble aventure.

On y cherche Conrad, Kessel, Rimbaud, Joyce, Céline. Mais aussi la malice de Queneau, Gary et Perec. Les grivoiseries d'Apollinaire, Nabokov et Bukowski, princes de troisièmes mi-temps. Et le souffle d'Hugo. Malheureusement, on n'y trouve souvent, sauf à regarder Clermont, le Leinster, La Rochelle et les All Blacks, que des butors, des poncifs qui abusent des pilates et des esquifs mal armés.

L'époque lugubre est aux compléments alimentaires, aux injections sous-cutanées, au buzz à deux balles, aux injonctions de présidents-propriétaires sans éthique ni étiquette, aux compte-rendus de tranchées façon boucherie ovaline sur le chemin des drames, quand nous espérons que le bonheur devienne la consigne, qu'un Grand Chelem marque nos esprits, que l'équipe remplace une sélection, que l'amitié et la folie nous emportent loin, qu'un joueur nous dise  "j'ai pris mon pied !" en parlant de terrain.

1974. Jacques Fouroux et Gareth Edwards bras dessus bras dessous, yin et yang, une chope de bière pour l'un, verre de blanc pour l'autre. Fouroux l'oublié de 1968, Edwards aux mains d'argent capitaine à moins de vingt ans. On n'image pas plus éloignés. Et pourtant quelque chose d'intense les relie. A vous de me dire ce que cette photo vous inspire à l'heure où nous fêtons les quarante ans d'un Grand Chelem à seulement quinze. Quarante ans, en années lumière, ça nous emmène où ?

dimanche 15 janvier 2017

Esprit d'équipe

L'esprit d'équipe, en rugby mais pas que, constitue le socle sur lequel il est possible de construire durablement. Je ne parle pas de l'histoire d'un club, ce qui est encore autre chose. Non, juste de ce qui agrège une poignée de joueurs dans la traversée d'un championnat. Nous évoquions ce ciment dans une précédente chronique avec l'exemple de Brive qui passa de la gloire au fossé en deux ans de campagne européenne. Aujourd'hui, c'est Grenoble qui m'inquiète.
Pas que je sois particulièrement attiré par ce club, ni spécialement concerné, encore que j'y ai passé de bien belles soirées, que ce soit aux côtés de Jean Liénard, puis Jean de La Vaissière, Jacques Fouroux, Rico Rinaldi et enfin Fabrice Landreau, entrecoupées de virés mémorables, dont une en compagnie de Fred Velo, à qui j'ai sans doute sauvé la vie. Mais ceci une autre histoire.
Non, ce qui m'inquiète, devant les sièges vides en Isère, c'est d'assister à l'exode massif de l'effectif actuel alors que la saison vient tout juste de basculer dans sa deuxième moitié. J'ai compté, ils sont  quatorze à quitter le FCG. Série en cours. De quoi constituer une équipe d'exilés. Entre autres Desmaison, Hand, Jolmes, Farrell, Batlle, Mignot, Bosh, McLeod, Grice, Diaby, Bouchet, Jammes et jusqu'au capitaine Wisniewski, ce qui en dit long sur ce délitement.
Je veux bien que le rugby soit devenu professionnel et donc libéral, que les internationaux analysent le marché et draguent le mieux disant financier, que les clubs se comportent en vulgaires entreprises, que les présidents traitent les joueurs comme du bétail, et les joueurs leurs mécènes comme des vaches à lait, mais quand même : une quinzaine de départs plombent l'ambiance alors que tout est encore jouable. Le signal est confondant : il n'y a plus de grimpeurs encordés.
Je ne dis pas ça pour faire de la peine à Sylvie, loin de moi cette idée, mais cette débandade organisée me choque. Certes, les caisses du club sont vides, le Stade des Alpes se désemplit, les résultats tombent mal, mais ces reflux condamnent Grenoble avant même l'expiration de la saison et l'officialisation du classement. Comment constituer une équipe quand chacun sait qu'il ne portera plus son maillot, la saison prochaine ?
Bayonne, pourtant en difficulté, ne connait pas une telle saignée ; le Stade Français, en chute libre, voit partir quelques vedettes mais rien de comparable à l'asséchement de l'effectif isérois. Le torrent de montage n'est qu'un mince filet d'eau. Le beau projet est noyé. Ainsi va le rugby pro. Au plus offrant. Le métier de journaliste consiste, figure imposée, à visiter régulièrement les sites des clubs pour voir qui est annoncé partant ou qui risque d'arriver. Beaucoup de mes confrères passent leur temps au téléphone avec les agents de joueurs pour anticiper les signatures. Personnellement, je ne m'y reconnais pas.
Alors que faire pour booster les désirs du chaland ? Quitte à foncer dans le mur de l'argent autant organiser une vente aux enchères des meilleurs marqueurs d'essais, un comice agricole des avants de devoir, ou un concours de tirs au but genre On achève bien les chevaux pour savoir quel réalisateur restera le dernier debout ! De quoi gonfler l'audimat, faire du chiffre et animer les mornes semaines entre deux journées de Top 14 polymusclé.
Pour prendre du plaisir, il faudrait que je sois Irlandais tant le Munster, le Leinster et le Connacht nous régalent. Je demeure Rochelais de coeur, cette saison devrait me contenter, mais la raison m'impose de rester neutre, à distance. Frustration. Clermont et Bordeaux-Bègles donnent, eux aussi, parfois (mais ce n'était pas ce dimanche) à rêver.
Parmi les très bonnes nouvelles, Tautor nous invite à constituer un Quinconces. Ceci est bel et bon. La date ? Du vendredi 21 avril 17 h pour l'apéro au dimanche 23, après le déjeuner pour ensuite aller voter au premier tour de la présidentielle. Il y a trois hôtels, des mobil-homes et un B&B à Treignac (cerca Brive) et dans les environs. Chacun pourra apportera ses spécialités régionales. Pour l'instant, nous sommes une dizaine, série en cours...

mercredi 4 janvier 2017

Elie nous abandonne


Bloggeurs de Côté Ouvert, Charles, Nini, André et François étaient accoudés au comptoir quand ils ont appris la disparition d’Elie Cester. C'est Sergio qui l’a annoncé le premier à la cantonade en entrant dans notre club-house. «Ce 3 janvier est décédé un grand n° 4 : Elie Cester !» En 1968, il fit effectivement partie avec Jean Trillo, Christian Carrère, Walter Spanghero et André Campaes, des cinq internationaux français qui disputèrent les quatre rencontres – c’était le Cinq Nations – victorieuses. Avant d’être nommé à trois reprises en 1974 capitaine du XV de France. «C'était ce qu'on appelle communément un grand monsieur», ajoute Sergio.
Le premier, Charles ouvre la boîte aux souvenirs avec sa «minuscule anecdote» : «Dans le Mercure d'Air Inter Orly-Toulouse, il prend place à côté de moi. Impression immédiate : être assis dans un dessin de Pellos, genre «l'Homme au Marteau attend Bobet ou Gaul dans l'Izoard»... Evidemment, on échange quelques mots, pareillement ravis de constituer un îlot ovale dans une carlingue où tout le monde lisait les pages roses du Figaro. L'impression d'un homme éminemment sympathique, porté sur le bon côté des choses. Toulouse était trop près de Paris. Une heure dont je me souviens avec émotion.»
Après avoir salué les membres du club, Sergio raconte à son tour : «Au sein du Valence Sportif, son second club de cœur, le premier étant le T.O.E.C., j'ai eu l'occasion de le côtoyer entre 1979 et 1981, entraîneur et joueur. Il avait treize ans de plus que moi. Ce n'était pas ce qu'on appelle un taiseux : le mec était discret. Abnégation et humilité, ça lui parlait. Mais quand il vous racontait ses histoires dans son accent en torrent de cailloux, là il était malicieux. Fallait faire gaffe pour lui serrer la pogne parce qu'il en avait de grosses. En fait, un gros nounours en dehors des terrains. Avec lui, on pouvait voyager tranquille sur un terrain.»
Au chapitre des hommages, Nini apporte le sien. «Galles-France 1966. Trois «voyous» de la pire espèce, nommés Benoit Dauga, Guy Boniface et Elie Cester, en goguette pour fêter le rugby après la défaite, se retrouvent plutôt moins que plus entraînés dans une grosse bagarre. Ils ont fini la nuit au gnouf. Z'avaient déjà perdu d'un point au planchot, l'après-midi, carton rouge le soir, sacrée déplacement ! Ca promet, là-haut, dans le Walhalla de l'ovale, de sacrées retrouvailles et une troisième mi-temps à faire trembler tous les Dragons rouges du Pays de Galles. Bon vent Monsieur Cester. Je ne pense pas que des joueurs de votre trempe, devoir et humanité, on n'en revoit d'ici peu. Eh, le Guy savait s'entourer, quand-même ; m'étonnerait pas que ce soit lui qu'ait allumé la première offensive d'une biscouette landaise… Et les deux copains au soutien, indéfectibles.»
Charles a soudain une idée. Ou plutôt une offrande musicale, pour rester avec Bach : «Allez, jeunes gens, une minute de silence en hommage à Elie, grosse caisse claire s'il en fut.»  Les jeunes gens, malheureusement, ne savent pas qui fut Elie Cester. Il suffit pour s'en rendre compte de parcourir certaines notices nécrologiques publiées, la plupart maigres, imprécises et sans âme, quand elles ne sont pas tardives. «C’est générationnel,» note François, magnanime, pour évoquer ce décalage. Et de poursuivre : «Je le voyais dans mon quartier quand j'habitais Toulouse. A treize ans, c'était comme un rêve de voir ce Monsieur devant moi - il travaillait à la voirie - et de le revoir sur le terrain avec le T.O.E.C. J'en parle à un mes fils, qui a 35 ans, et il me dit : «Elie qui ?» Pas surprenant non plus, ni décevant. Je garde bien au chaud ces images du mec normal bossant avec ses collègues. Autre temps, autre mœurs.»
Elie Cester, André l’a bien connu, «à l'époque où je jouais en juniors au T.O.E.C.,» glisse notre cycliste. «Quel pack, avec lui! Salles-Bousses-Gallo - Cester-Dubor – Antia, j’ai oublié le nom du numéro huit, et Salut, tous protégeant le petit Richard Astre... Et le Stade des Minimes...Et le président si sympa, Georges Aybram...On pourrait aussi se souvenir de quelques colosses, style Daniel Orluc à Tulle et du «Breton» Jean Le Droff d'Auch... Je retombe, au moindre coup de Trafalgar, dans mes travers et mes souvenirs frais comme une éponge bien humide !»
Alors j’ai appelé Jeannot Salut, privilège du journaliste que d’être proche de ceux avec lesquels il n’a pas joué. Quand je lui demande qui était le troisième-ligne centre du T.O.E.C. (Toulouse Olympique Employés Club. Non, Sylvie, ce n'est pas un test d'anglais...) qui poussait au cul d'Elie, il lâche immédiatement : «Antoine Bertoldo ! Un drôle de mec ! Il prévenait les adversaires qui déconnaient : «Attention, toi, tu vas connaître le tapis.» Et il ajoutait : «Les prédictions de Saint-Antoine se réalisent toujours…» Quelques minutes plus tard, tu entendais un bruit sourd…» Jeannot a joué avec Elie. «Nous étions fâché. Une connerie.» Une histoire de capitanat, «jalousie d’adolescent» qui a poussé Cester à partir vers la Drôme en 1970. «C’était un grand joueur, avoue sans ambages Salut. Un colosse qui se déplaçait à grande vitesse. Je n’ai pas vu un deuxième-ligne de son gabarit - il mesurait 1,91m et pesait 121 kilos, je le sais, je me suis pesé à ses côtés dans un hôpital néo-zélandais - courir aussi vite. Il avait des avant-bras d’Italien du nord, monstrueux. Aussi gros que ses mollets…»
Elie Cester est donc parti. A 74 ans. Abandonnant le rugby à ses affres professionnelles. A nous avec lui. De cet athlète, Fred Allen, entraîneur des All Blacks et ancien cinq-huitième international, disait : «Avec huit Cester, la France aurait le meilleur pack du monde.» Treize ans plus tard, un Gersois comme Elie, Jacques Fouroux, lancera le même compliment concernant Roland Bertranne, mais à l’échelle de toute une équipe. Allen, lui, n’exagérait pas. Il avait vu Cester à l’œuvre deux fois face aux All Blacks en 1968, dans un pack qui comptait Walter Spanghero, Christian Carrère, Jean Salut, Benoit Dauga... Un pack qui pensait à jouer avant de combattre.
Cester, aussi rapide que ses lumineux coéquipiers, prenait plus que sa part de travail dans l’ombre. C’est parce que le ciel est noir que les étoiles brillent et que nous pouvons nous diriger dans la nuit, disent les Maoris. Cester, 35 sélections entre 1966 et 1974, faisait briller les autres. Quand je l’ai rencontré, il y a de cela une quinzaine d’années, chez lui, il avait quelques mots pour parler de lui et beaucoup plus pour évoquer ses coéquipiers. C’est à cette aune qu’on évalue les bons hommes.