lundi 27 février 2017

Fichu février

Bernard Laporte a remporté l'élection présidentielle dans un fauteuil. De quoi y tendre le maillot de l'équipe de France. On ne pourra pas reprocher au nouveau boss du rugby hexagonal de ne pas faire ce qu'il a promis. Juste lui signaler qu'il n'est pas obligé d'aller aussi vite en besogne. Même s'il se sent fort du soutien de Besagne. En se présentant sur un plateau de télévision, dimanche, pour annoncer qu'il lançait un projet de contrat fédéral pour quarante internationaux français, le prez pressé a fait son Trump et mis le feu. D'où l'extincteur...

Car le droit l'emporte sur toute autre considération. Y compris et surtout sur l'esbroufe et le coup de force. C'est donc en barbare riant (un peu jaune toutefois après la défaite française à Dublin, 19-9, au terme d'un florilège de maladresses et d'approximations) que Bernie a plus que jamais validé son surnom de dingue qu'on lui reconnait. Passant largement au-dessus de la Convention FFR/LNR et des conventions, il prévoit d'aller directement négocier en tête-à tête avec les présidents de clubs la mise sous contrat fédéral pendant six mois de leurs internationaux français.
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Seuls trois ont accepté ses desseins : Mourad Boudjellal (qui en cas de rapatriement de la LNR à Marcoussis se verrait bien à la tête de l'usine à gaz), Laurent Marti (par amitié bordelaise mais pas pour négocier quoi que ce soit) et Mohed Altrad, ce qui n'étonnera personne. Quand les râteliers sont pleins, on peut manger partout... Il a surtout, et c'est inquiétant pour la suite, il annonce avoir forcé la main des stagiaires de Nice les enjoignant de signer une promesse de soutien à son projet.
 
C'est faux. Si les joueurs ont signé, c'est pour la réévaluation des primes de matches internationaux. Mais on imagine que les internationaux en activité n'ont pas pensé une seule seconde qu'ils étaient ainsi pris en otage par leur président (re)devenu sélectionneur. Lequel n'a pas envie d'avoir une assurance d'être dans la liste Elite et de prendre un abonnement à l'année dans l'Essonne ? Au-delà de ça, et bien plus dangereux à court terme, caricature que cette volonté d'aller très vite se proposer en sauveur. Comme si lui seul - entraîneur national huit ans sans résultat probant si ce n'est une demi-fnale de Coupe du monde - savait quelle solution apporter pour que le XV de France retrouve son brillant.

Au lieu de réunir ce qui est épars, Bernie le Dingue vient de s'offrir un combat contre la LNR et son président élu. Sans doute prépare-t-il la voie pour rapatrier le rugby professionnel dans le giron fédéral, auquel cas son coup de force est un petit coup de maître. Mais vu l'état de la formation française, garder deux mois de plus les internationaux à Marcoussis est-il vraiment un gage de réussite ? Ils arriveront sans doute plus frais sur le terrain. Mais s'ils ne comprennent pas, comme c'est actuellement le cas, à quoi ils jouent, pourquoi, quand et comment, deux mois de plus en vase-clos ne changeront rien à l'affaire. Sauf à s'ouvrir la main à force de frapper dans un mur.
 
On en oublierait presque d'évoquer Dublin dont on attendait tellement. Au micro en-avant de Gaël Fickou, aux maxi-conneries d'une troisième-ligne française dépassée en tout, du show Sexton à l'effroi d'une défaite sans âme, des ballons tombés à la claque ramassée, je garde les vagues vertes, combinaisons millimétrées infligées quinze fois aux Tricolores, plan de jeu affirmé. L'Irlande a des convictions, nous avons des cauchemars et la perspective d'un déplacement à Rome après ce qu'on a vu de l'Italie à Twickenham nous fait plutôt nous diriger vers Canossa.
 
En plus des parties pas très fines disputées à Saint-Denis face à l'Ecosse et à Dublin devant l'Irlande, le rugby français fait intervenir des stars de l'hémisphère sud pour se tirer une balle dans les valeurs. Après les corticos, l'ivresse au volant, voici la mise au violon de deux fétards pour consommation et achat de cocaïne sur les Champs-Elysées, site touristique qui ne réussit pas beaucoup aux Racingmen en ce moment. Après Ali, Barba ? On conseillera à la nouvelle recrue du RCT de ne pas remonter cette avenue durant son séjour en Top 14 s'il ne veut pas goûter aux cellules de dégrisement du VIIIe arrondissement.
 
Ajoutez à cela le décès de Joost van der Westhuizen à un âge où on profite pleinement de la vie et de ses jeunes enfants. Le suicide de Dan Vickerman incapable de survivre dans l'après-rugby, disparition qui fait écho aux alertes lancées en leur temps par Christophe Dominici et, il n'y a pas si longtemps, par Raphaël Poulain. La coke circule dans le rugby. Le cas Pieter de Villiers, en 2003, n'était pas une exception. Et pour ajouter au chaos l'apparition de Philippe Sella à Panama dans ce qui n'est pas une percée mais une évasion fiscale. Plus de doute possible : ce mois de février, particulièrement violent, laissera des traces et pas seulement entre les lignes. On savait qu'au pays du long nuage blanc le rugby est une religion. On constate qu'ailleurs, il devient un opium.

lundi 20 février 2017

En courant continu

Quand cette photo a été prise, ce 18 avril 1959, à Dublin, mon arrivée était déjà prévue depuis un certain temps. Robert Vigier, lui, avait programmé de détruire tout Irlandais qui passerait à proximité et on se demande comment le centre Kevin Flynn a pu garder l'usage de sa jambe après cette charge du talonneur tricolore devant les yeux de l'arbitre. Le carton jaune pour plaquage à retardement n'existait pas, l'arbitrage vidéo non plus et le minuscule Gallois Gwynn Walters était considéré comme le meilleur arbitre de rugby du monde à cette époque. Le troisième-ligne aile Jean Carrère craignait de se faire arracher la tête par le ballon et, tout à droite de la photo, devant le club-house des Wanderers, le dénommé James Kavanagh semblait peu enclin à vouloir participer à l'action.

Je vous parle de James Kavanagh parce qu'il se trouve qu'à l'invitation de Jean Trillo, j'ai joué avec lui en 1984 sous le maillot des Sherpas, sélection hétéroclite de gentlemen composée par le vulcanologue Haroun Tazieff ; contre les Anciens de l'ACBB, qui allait devenir quelques années plus tard mon club d'adoption. A 55 ans, Kavanagh affichait toujours un corps d'athlète, pas un gramme de graisse, le muscle sec. J'avais la moitié de son âge et pas le dixième de son énergie après avoir passé la veille rue de la Soif dans le sillage de mes coéquipiers du jour. Après le match, au bar, quand j'ai su qu'il avait été trente-cinq fois international irlandais au poste de troisième-ligne entre 1953 et 1962 (en fait, j'ai cherché ça plus tard), je me suis approché de lui pour engager la conversation.

Après quelques demis, il me raconta cette anecdote qui ne me quitte plus depuis chaque fois qu'il est question d'aller jouer à Lansdowne Road, même depuis que cet endroit mythique est devenu Aviva Stadium. En 1958, les Irlandais recevaient le pays de Galles, son gros pack (Clem Thomas, Rhys Williams, Ray Prosser, Bryn Meredith) de décapsuleurs et son ouveur de génie, Cliff Morgan. Une équipe face à laquelle ils l'avaient emporté deux ans plus tôt, mais qui ne leur réussissait pas vraiment. «Il fallait faire quelque chose pour casser la routine», me glissa Kavanagh. Il proposa un footing dans la forêt de Wicklow, située au sud de Dublin.

Maniaque de la préparation physique, Kavanagh lança ses coéquipiers sur des bases olympiques. Pierre Berbizier reprendra cette approche du décrassage trente-cinq ans plus tard. Dans une des vallées du Wicklow, les joueurs se trouvèrent face à un torrent qu'ils dûrent traverser. «Et les voilà en slip dans l'eau froide, leurs fringues au-dessus de la tête» sourit James comme sorti d'un film de Clint Eastwood. Le temps de se rhabiller, de partir à toutes jambes grimper au sommet de la colline, et hop, retour et re-traversée. «Les mecs étaient gelés, se souvient Kavanagh, et nous nous sommes réchauffés dans un pub autour d'un bon thé chaud.» Pour le thé, je ne garantis rien : je miserais plutôt sur Guinness...

Ce 15 mars 1958, à Lansdowne Road, le pays de Galles fit une démonstration de jeu offensif et inscrivit trois essais. Les Irlandais un seul. Et un but de pénalité. Score, 6-9. «L'histoire de ce footing avait été éventée... Au coup de sifflet final, j'ai vu s'avancer vers moi ce coquin de Cliff Morgan. Il me remercia pour le bon match que nous avions disputé et ajouta : "Tu sais, James, le jour où une rivière coulera au milieu de Lansdowne Road, je pense que vous serez à même de nous battre..." Sur le coup, je ne savais pas si je devais lui en mettre une ou éclater de rire,» conclut mon coéquipier d'un jour, en commandant la sienne.

Aujourd'hui, les joueurs ne traversent plus de rivière durant leurs footings. Ils préparent les rencontres devant la vidéo, sous les charges de fonte, avec des suppléments alimentaires, parfois grâce à des piqures de corticoïdes... Que faudra-t-il aux Tricolores de Guilhem Guirado pour l'emporter à Lansdowne Road, pardon, à l'Aviva ? Je dirais un torrent d'imagination, de prises de risque, de furia, d'envie d'aller au bout d'eux-mêmes. Il leur faudra employer le courant continu et, comme Cliff Morgan, ajouter à l'éclat de leur jeu quelques étincelles de pur génie.

J'avoue, ça fait beaucoup de paris à mettre en bouteille. Surtout après la triste performance déroulée devant l'Ecosse. Les Tricolores se sont préparés à Nice, terre du nouveau patron de la FFR - non, pas Bernard Laporte - : l'ancien pilier terrible des Rapetou, j'ai nommé le docteur Simon. Le stage suivant pourrait effectivement, comme le suggère l'ami Antoine, se tenir à Gaillac. Ainsi va la politique : servir et se servir. Nul n'étant prophète en son pays, Mister Serge a certainement dû savourer son retour au bercail en fils prodigue. On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.

Il y a soixante ans de cela, le XV du Trèfle alignait de sacrés personnages, tels le capitaine Noel Henderson, Tony O'Reilly, Ronnie Dawson, Noel Murphy et James Kavanagh, donc. Avoir de la personnalité, c'est bien ce qu'il est demandé. Côté français, en ce moment seul le Rochelais Kevin Gourdon, qui échappe ballon en mains à tous les plans de jeu et à toutes les consignes, semble en avoir à revendre. Lui, Serin et Louis Picamoles, transformé depuis son départ pour l'Angleterre. Avec Zebo, Earls, Ringrose, Murray, Kearney, Sexton, Stander, O'Brien et Heaslip, les Irlandais n'en manquent pas. Le défi est là.

mardi 14 février 2017

En noir et blanc



Je ne suis jamais content, je l'avoue. Perdre alors qu'il est possible de l'emporter me frustre autant que de l'emporter de façon abâtardie. Il n'y a pas loin entre Twickenham et Saint-Denis. A la défaite encourageante succède le succès décourageant, et la dernière chose dont j'ai envie c'est bien de revenir au Top 14 alors que le scenario du Tournoi nous porte directement vers Dublin sans passer la case brise de Nice. Car enfin, s'éloigner des Six Nations au moment même où l'Irlande, le front ceint de lauriers, quitte Rome portée sur les épaules de ses vaincus pour s'apprêter à nous recevoir sous les vivats de l'Aviva, c'est s'infliger un coitus interruptus le jour de la Saint-Valentin...

Tout a été écrit, ou presque, sur ce maigre succès du dimanche. Saint-Denis n'a pas assez prié pour Guilhem et ses frères, et ce qu'il reste à en dire ne mérite pas un chapitre. Passons. Passer, c'est d'ailleurs ce que les Tricolores font le mieux, ça et pousser en mêlée. Ca fait plaisir, ça déplace le jeu et le ballon, mais si ça passe, ça ne franchit pas. Pourtant, il y aurait de quoi faire autour de Picamoles et de Gourdon, de Guirado et d'Atonio, de Lamerat et de Vahaamahina. Passer, oui, mais les bras. Et pas par intermittence, comme au spectacle.

Mon jeune confrère Anthony Tallieu n'a peur de rien. Il exerce son métier avec résolution, se fiche pas mal de faire ami-ami avec entraîneurs, présidents ou joueurs, n'hésite pas à porter le fer dans les maux et ne choisit jamais d'un mot le moindre. Dans la salle de conférence du Stade de France, il fut le seul à oser questionner Guy Novès moins d'une heure après le coup de sifflet final au Stade de France, dimanche, en invitant le sélectionneur national un peu chafouin à donner son avis sur l'impression de «régression» qui emballait le piètre succès sur l'Ecosse. La réponse du Toulousain fut cinglante : le «non, pas du tout» l'emportait ! Elle fut reprise partout.

De quoi cette victoire étriquée est-elle le «non» ? Non à la défaite, non à la spirale négative, non au doute, non à la fatalité. Mais non à la critique dépasse l'entendement... Si j'ai passé d'intéressantes minutes au téléphone avec Pierre Berbizier et Pierre Villepreux au sujet de l'avenir de l'Italie, nos discussions sont revenues au triste France-Ecosse du dimanche. Pas de sermons, non, une déception ; surtout une incompréhension de la part de deux des meilleurs techniciens français, dans l'ordre du plan tactique, de la cohérence entre composition d'équipe et organisation offensive, de la finalité de l'exercice.

Quand je leur fis gentiment remarquer que des victoires pourries comme celle-là avaient émaillé leurs parcours respectifs de joueur et d'entraîneur national, ils acquiescèrent. Ce qui les gênait, concernant cette victoire au rabais, c'était justement le manque d'exigence qu'elle soulignait. Manque d'exigence dans le jeu, que ce soit au niveau individuel ou collectif. Absence d'élévation. Il faut dire que la mise en perspective de ce match au regard d'Italie-Irlande, et surtout de Galles-Angleterre, ne facilite pas le simple bonheur d'un succès sans feu ni tête.

Ce qu'il y a de bien dans le sport, c'est qu'il garde en nous l'enfant que nous fûmes et que nous préservons en une petite flamme bien connue. Il y a un demi-siècle - déjà - le Tournoi était un long feuilleton qui s'égrenait tous les quinze jours, et il arrivait que la France ne joue pas d'un mois. C'était assez pour que l'équipe change du tout au tout, qu'une flopée de Biterrois remplace un quarteron de Narbonnais, que l'association dacquoise formée de Lux et Dourthe switche avec le duo de siamois Maso-Trillo, que Dauga reprenne à Walter (pas besoin du nom de famille, hein ?) le capitanat.

Alors, avec mon père, nous regardions avec gourmandise et recueillement les nations celtes et saxonnes en découdre entre elles. C'était il y a un demi-siècle et c'était hier. Durant le dernier Galles-Angleterre (16-21), j'ai retrouvé ce goût d'antan. Je me suis revu, gamin, accoudé sur la table d'un bar-restaurant du côté d'Auch, le regard levé vers le téléviseur. Nous étions en vacances, de retour des Pyrénées en février après une semaine de ski à Gourette. L'acteur Robert Lamoureux avait séjourné dans notre hôtel aux Eaux-Bonnes, mais c'est le rugby qui occupait nos pensées, ce samedi. En noir et blanc. Sur le chemin du retour vers La Rochelle, le Tournoi des 5 Nations obligeait à la halte.

Nous étions fascinés par l'engagement total des Gallois, des Ecossais, des Anglais et des Irlandais quand ils jouent entre eux. Comme s'ils s'étaient libérés de quelque chose. Peut-être du poids d'affronter la France et de se faire étriller, marcher dessus, labourer. Ils jouaient sans freins : chaque regroupement ressemblait à une bordée d'ivrognes. Mais c'était beau comme de l'antique. Le ballon, olive luisante, fusait sans cesse. Dans ces années 70, années de plomb, nous n'éprouvions aucune frustration à ne pas voir jouer le XV de France, lequel alternait des fulgurances (trop rares comme leur nom l'indique) et les bouillies comme celle qui nous a été servie, dimanche dernier.

Il faut que tout change pour que rien ne change. Les matches vendredi ou dimanche, donc, jour du soigneur ; les horaires en prime time pour les prima donna, les ballons en matière synthétique, l'arbitrage vidéo, les remplaçants systématiques, l'essai à cinq points, la mi-temps d'un quart d'heure, les boîtes de compléments alimentaires plutôt que les bocaux de cassoulet... Tout cela n'a pas modifié l'essence du jeu et s'extasier devant Galles-Angleterre propose le même effet jubilatoire. Il faut l'admettre, le rugby n'est plus chez nous. Il est resté ailleurs, en Nouvelle-Zélande, au pays de Galles, en Irlande, en Angleterre.

Beauté des flux migratoires, il nous faut évoquer Pau dans une petite section de cette chronique. Les Béarnais des All Blacks Simon Mannix, Colin Slade, Conrad Smith et Tom Taylor, sont entrés dans un Top 6 dont le Stade Rochelais s'avère un solide leader. Nous y reviendrons ce week-end, tranche domestique avant de nous envoler vers Dublin assister à ce match bascule. Pau reçoit Grenoble et La Rochelle accueille le Stade Français, de quoi conforter leurs positions, une irruption dans l'élite de l'élite qui donne à Toulouse, au Racing et à Bordeaux-Bègles de l'urticaire et pimente la tranche de saucisson qu'est cette 18e journée sans les internationaux. Au moins personne ne tremblera à la perspective de quelques blessures et forfaits de dernière minute qui auraient plombé ce XV de France de bien maigres réserves.



lundi 6 février 2017

Fleur bleue

Il y a des samedi plus noirs que d'autres. Quand votre équipe nationale à 7 ne passe pas le cap de la phase finale, battue par le Russie qui comme chacun le sait est une grand nation de rugby. Quand votre XV après avoir mené à Twickenham, éteint le public et fait rêver ses plus rétifs supporteurs d'un succès historique se fait cueillir par le Rose à neuf minutes du coup de sifflet final. Quand votre relève encaisse neuf essais face à de tendres Rosbifs qui comptent déjà dans leur rang le clone de Wilkinson, celui de Launchbury et un gigantesque ailier d'origine fidjienne qui devrait rapidement apparaître dans les radars d'Eddie Jones. Quand vos filles et vos femmes, en tête à la pause 13-0 dans ce Temple qui baisse de rideau se laissent ensuite remonter de vingt-six points.

A la question «qu'est-ce que le haut niveau?», on pourrait répondre tout ce que le rugby français ne possède pas. Ce que les Falcons d'Atlanta n'ont pas également. Dimanche soir, en épilogue de ce samedi de frustration abyssale, le 51e SuperBowl m'apporta quelques pistes de réflexion que j'ai envie de vous faire partager avant la réception de l'Ecosse, laquelle se déplace à Saint-Denis la fleur au fusil. Absents, maladroits, peu inspirés et pour tout dire surclassés pendant trois quart-temps, les New England Patriots ont su trouver les ressources mentales pour non seulement revenir au score mais l'emporter au terme de la première prolongation en mort subite de l'histoire de cette compétition ovale, elle aussi.

J'emploie à dessein l'expression «ressources mentales» plutôt que tactique, physique ou technique. Car à mes yeux il s'agit là du problème central des équipes qui ne parviennent pas à élever leur niveau de jeu au moment crucial, ce temps d'excellence où la force psychique cimente toutes les pierres de l'édifice, à savoir les combinaisons, le timing, l'exécution, la précision, la pertinence. Pourquoi Lopez manque-t-il le but au tournant de la première période, face aux poteaux, qui aurait fait passer la France en tête à la pause ? Pourquoi Atonio, ou Chouly, ou Lamerat, Nakaitaci, Vakatawa, Serin, Machenaud, foirent-ils la passe ou laissent-ils échapper le ballon promis à l'essai ?

Parce que leur mental est défaillant. Parce qu'ils ne sont pas capables de se sublimer quand il le faut. Parce qu'aucune transcendance ne les tire vers le haut. Vers ce qu'ils ont de meilleur, dans la zone des 110 %. Ils ne cassent pas leur propre barrière mentale. Il est là, le haut niveau ; dans la capacité à se hisser soi-même, sans le recours des autres, au-delà de ce qu'on pense être sa limite. Le champion vit sur une hauteur qui n'est pas celle du commun. S'il a plongé sa charrue dans la terre pour creuser un sillon, c'est vers les étoiles qu'il regarde pour le tracer droit.

Un psychologue étoffe le staff du XV d'Angleterre. Psychologue, ce n'est pas un gros mot. Pas davantage que diététicien ou ostéopathe. Le rugby passe par toutes les mains, tous les regards. Et rarement par la qualité d'écoute et de discernement. Evoquer ses freins, ses peurs, ses attentes n'est toujours pas naturel chez le rugbyman français. Sans doute parce qu'exposer ses faiblesses manque de virilité dans un sport qui se drape de machisme. Hélas pour nous, les Anglais, comme les Ecossais, d'ailleurs, ont compris depuis plusieurs années que la performance est mue par l'équilibre mental et qu'il se travaille.

Entre un XV du Chardon fort de ses certitudes après son succès face à l'Irlande et une équipe de France plombée à Twickenham par ses doutes et sa frustration après l'épisode des «fautes impardonnables», dixit Guy Novès, j'imagine que la rencontre de dimanche au Stade de France se jouera sur la note confiance, sur le registre mental, et pas seulement en clé de sol, là aussi un domaine où excellent les Calédoniens de ce diable de Greig Laidlaw bientôt parachuté à Clermont. Vous avez apprécié, c'est forcé, l'invention écossaise de «la touche aux trois-quarts», système D qui déboucha sur l'essai de Dunbar. D'autres inventions sont à prévoir et le staff français n'a pas besoin de s'arracher les yeux sur l'analyse vidéo puisque par définition les nouveautés sont imprévisibles...

Le XV de France dispose-t-il de leaders ? De joueurs charismatiques ? D'éléments capables de transformer le jeu ? De briser les défenses ? D'un capitaine à la hauteur ? Comme le font remarquer tous les internationaux que je connais et fréquente assez régulièrement, les joueurs sont premiers sur le jeu. On le constate encore une fois sous Novès. Le système, qu'il nomme «projet», est là, visible depuis la tournée de juin dernier en Argentine. Mais sans les hommes pour l'exprimer dans ce qu'il a de meilleur, il reste un voeu pieu susceptible de générer d'énormes frustrations, comme ce fut le cas face à l'Australie en novembre et l'Angleterre en ce début février.

C'est le message que fait passer Eric Blondeau au sein du XV d'Ecosse depuis deux saisons. Blondeau, préparateur mental de Clermont en 2010 avec les effets positifs qu'on connait, Blondeau ancien d'Angoulême, de Poitiers et de Cognac. Lui et l'Anglais Jeremy Snape mettent les joueurs en situation de gérer les difficultés, l'inattendu, le stress, les situations de crise, les catastrophes, pour mieux aborder les tournants de match. On voit bien, à la lumière de cet éclairage, où se situe l'écart aujourd'hui entre le XV de France et ses principaux adversaires. Il n'est pas physique, pas (toujours) tactique, ni technique (encore que). Il est d'abord d'ordre psychologique. Ce sera la clé du match, dimanche, à Saint-Denis.