mercredi 29 novembre 2017

Agir, maintenant

Depuis la défaite du XV de France face au Japon (23-23), défaite morale s'entend, les constats se multiplient comme des rocking-chairs qui bougent d'avant en arrière ; ça ne nous avance pas. Avant de savoir où l'on va, il est bon de savoir d'où l'on vient, certes, mais ça fait un bout de temps - depuis la Coupe du monde 2011 - que même les plus lents à la détente sont parvenus à se faire une idée du marasme dans lequel pataugent les Tricolores.

Passons à l'étape suivante : trouver au mal des remèdes qui pourraient être mis en œuvre rapidement et donner des résultats probants sans attendre la Coupe du monde 2023. D'autres nations ont connu des périodes difficiles, pour ne pas dire troublées. Elles ont su, avec courage et intelligence, prendre des décisions parfois radicales. Passées au tamis français, en voici dix.

1- Former des gamins au plus haut niveau ; pas seulement au jeu mais aussi à ce qui l'entoure. Action mise en œuvre au sein des clubs de Top 14 et de ProD2 à condition d'être suivie par l'encadrement du XV de France (voir 6 et 8). Davantage que le rapport taille-poids en fonction des postes, développer les conditions de réussite au plus haut niveau en axant le travail dans quatre domaines : psychologique, technique, tactique et physique.

2- Choisir un nouveau capitaine. Guilhem Guirado est rôti. Trop habitué à la défaite. Ressorti abattu de ce novembre calamiteux. Qui fait suite à une tournée manquée en Afrique du Sud. Il suffisait de l'écouter au coup de sifflet final sur le bord de touche de la U Arena pour constater qu'il est au bord de la dépression. Dix-huit capitanats: six succès. Dont une série de six défaites d'affilée.

3- Tirer un trait sur les «anciens» qui stagnent depuis 2012. Exit Slimani - visé par les arbitres, il coûte cher -, Maestri, Picamoles - qui fonctionne au diesel -, Trinh-Duc, Bastareaud, Huget et Spedding. Le présent ne leur appartient plus. Ils font du sur-place, et ça ne date pas de samedi dernier.

4- Lancer une nouvelle vague bleue en lui conservant un crédit d'apprentissage. Jeunes, débridés, neufs et enthousiastes, Priso, Pélissié, Colombe, Iturria, Lambey, Jelonch, Galletier, Couilloud, Carbonel, Jalibert, Boudehent, Regard, Dupichot et Cordin, entre autres, ne sont pas traumatisés par les échecs.

5- Comportements déplacés, bagarre entre membres du staff, retards, absences, manque de concentration, coups de gueule, coups de blues : le régime carcéral de Marcoussis est contre productif. Regrouper des personnalités (Berbizier, Villepreux, Rufo, Onesta, Yachvili, Tillinac, Guillard, Albaladejo) autour du nouveau capitaine bleu, deux ou trois joueurs clés et d'un bon scribe pour rédiger une charte éthique. Les grandes nations en ont une, plus utile qu'un cahier de jeu sur disque dur.

6- Pas besoin de passer les diplômes d'entraîneur en quarante heures chrono. Il suffit de regarder les tests internationaux pour s'inspirer du rugby qui gagne. Quel est-il ? Attitude à la percussion et au plaquage afin que les soutiens ne se consomment pas dans les rucks, déplacement pertinent des joueurs en défense, attaque avec des leurres en deux vagues, combinaisons autour des conquêtes en première main, angles de courses précis, jeu au pied de pression...

7- Armer l'équipe de France d'un préparateur mental indépendant. Gilbert Enoka chez les All Blacks, Eric Blondeau avec l'Ecosse de Cotter. Pas de salarié fédéral mais un développeur de performance qui libére les esprits, évite que les joueurs évoluent avec une boule au ventre, un poids sur les épaules, la peur de mal faire. Il s'attaquera d'abord au staff, souvent porteur de tensions inutiles et corrosives.

8- De nombreuses nations (à l 'exception de l'Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande) se sont ouvertes à l'étranger. Avec succès. Quelques pistes ? Wayne Smith - qui adore la France et le jeu à la toulousaine -,Vern Cotter, Jake White... L'Anglais Ben Ryan s'occupe bien de France 7 ! C'est donc possible. Rien de honteux à casser la routine française, même si Olivier Magne, Fabrice Landreau, Christophe Urios, Laurent Travers, Xavier Garbajosa, Fabien Galthié, Jean-Baptiste Elissalde ou Raphaël Ibanez sont légitimes.

9- Au départ, quand on m'a annoncé que les Barbarians Français devenaient la succursale du XV de France, j'ai craint que le stress qui habite les locataires de Marcoussis fondent sur le dernier concept de rugby en liberté tel que souhaité par Jean-Pierre Rives. Il n'en a rien été et le match contre les Maori a été un régal pour l'esprit comme pour les yeux. Développer cette ouverture Barbarians en offrant l'opportunité à de jeunes talents de s'exprimer sans retenue lors de rencontres internationales bis, encadrés par quelques ainés, comme le furent Fred Michalak puis Aurélien Rougerie.

10- Persévérer dans la veine des JIFF - même si ce n'est pas la panacée - et un minimum de seize joueurs sélectionnables sur une feuille de match de Top 14 et de ProD2. L'étendre à la Fédérale 1 poule Elite, puis à toute la Fédérale (1,2,3). En ce qui concerne les trois divisions pros et semi-pros, acter une incitation financière chaque fois qu'un Espoir est titularisé.

dimanche 26 novembre 2017

Chant du refus

Tout ça pour quoi ? Je reprends à dessein le titre de l'entretien accordé par Yannick Bru à François Trillo dans le magazine Flair Play, sixième du nom et promis à une nouvelle vie, l'année prochaine. Beaucoup de bruit pour rien, souffle aussi le grand Bill - pas Beaumont, l'autre, celui qui entraînait Stratford-Upon-Avon. Si peu de rugby et beaucoup de bleus à l'âme. Rien de tranchant. Le XV de France est-il toujours le cœur de notre passion ? Je suis furieux d'avoir à y répondre car le mystère des échecs bleus répétés, dévastateur, me plonge dans un abîme de perplexité brutale.

Qu'est-ce que le rugby sinon un élargissement de la vie, une métaphore visant à amplifier nos pensées, une geste propre à nous extraire de l'humaine condition, champ lexical qui déborde, obère les frontières, agrandit la circulation des liens, regroupe les énergies, estompe le brouillard qu'on croyait scellé, dénonce le médiocre contrat, chasse la sécheresse et la solitude et le froid. Frère de littérature, le rugby est une poésie ; une langue qui s'invente de tout son corps.

Tu as bien fait de partir, Jean Trillo ! Tes passes et tes percées «réfractaires à la malveillance, à la sottise» des sélectionneurs de Toulouse, de la Cité d'Antin, de la rue de Liège puis de Marcoussis, «ainsi qu'au ronronnement d'abeille stérile» des réseaux sociaux un peu fous, «tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large.» Tu as bien fait de partir, Pierre Albaladejo ! Vous aussi, André Herrero, Walter Spanghero, Didier Codorniou, Patrick Nadal, Max Barrau, Jean-Luc Sadourny.

«Vous avez eu raison d'abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets de pisse-lyres (...) pour le bonjour des simples.» Tu as bien fait de partir, Jo Maso, André Boniface, Jean-Michel Aguirre, Alain Paco ! «Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi. (...) Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies

La prose poétique de ce monument qu'est René Char, 1,92m, ancien deuxième-ligne dans l'Hérault, nous transperce comme un ballon porté. Un stade lui rend hommage, et c'est heureux, à Bédarieux, au cœur de ce triangle dessiné entre Montpellier, Castres et Béziers qu'on appelle pays d'Orb. Au milieu, nous y revenons toujours, coule une rivière. Constatons avec ce géant que notre automne est une agonie. Personnellement, je ne la trouve pas très affable.

René Char écrit dans Feuillets d'Hypnos dédiés gardien de but Albert Camus - la main, toujours : «On ne se bat bien que pour les causes qu'on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s'identifiant.» Ce à quoi Camus répond : «Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois.» Char prolonge l'échange en précisant que «toute l'autorité, la tactique et l'ingéniosité ne remplacent pas une parcelle de conviction au service de la vérité.» Nous y voilà.

C'est bien de conviction dont manque cruellement ce XV de France de triste figure. L'atonie qui prévalait sous Philippe Saint-André est encore présente sous Guy Novès, la peur de mal faire en plus. Avouons-le, les joueurs appelés aujourd'hui n'ont aucun charisme : de Poirot à Spedding, en passant par Picamoles, ils suivent les consignes, apprennent mollement le cahier de jeu installé sur disque dur qu'ils récitent ensuite comme les élèves peu inspirés ânonnent des alexandrins trop longs pour leur respiration naturelle.

Il est bien fini le temps des légendes. Quel international français inspire notre élan et les générations à venir, refaçonne le mythe ovale ? J'ai beau chercher, je ne trouve pas. Ce XV de France est composé de soldats, pas de figures, de personnalités ni d'hommes aux couleurs vives. Olivier Margot, chantre et ami, publie justement chez Lattès un recueil de mémoires sauvées du vent (Le temps des légendes), déclarations d'amour à quelques champions croisés ou choyés - Jazy, Cerdan, Kopa, Mimoun, Anquetil, Ostermeyer, Killy - au milieu desquels s'élèvent regroupés Albaladejo, Boniface et Herrero.

Le rugby est âme collective. Sans elle point d'ancrage, de cap à tenir, de voyages effectués, de vie rêvée. Tout ce qui construit la différence entre une sélection et une équipe se trouve dans le lien tissé par les individus qui se comptent quinze, ou vingt-trois. On parle de projet de jeu mais seules quelques nations réussissent à l'exprimer au point de le rendre facile à observer. Ce n'est pas le cas des Français depuis plus de dix ans.

«Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats», écrit le poète. Ils sont pourtant la conséquence de tout ce qui précède : confiance, plaisir, union, appropriation, liberté, charte, aspiration, inspiration, équilibre, harmonie, humilité, engagement, identité. Ce qu'on aime quand jouent l'Ecosse ou la Nouvelle-Zélande, par exemple. Ne nous attardons pas, donc. Tant que la nuit nous appartient, accélérons le pas sans nous retourner sur l'aurore qui tarde à se lever.

mardi 21 novembre 2017

Gazon interdit

Le pire est toujours à venir, et si les désolantes prestations de service minimum d'un XV de France qui s'exprime avec un entrain de sénateurs plongent les supporteurs bleus dans l'atonie, il est encore possible de descendre un cran en-dessous. La perspective d'un France-Japon à l'U Arena, ce samedi, ouvre le champ des possibles. Jamais les Tricolores ne se sont couchés face au Soleil Levant. Il y a un début à tout. Demandez aux Springboks !

Au-delà du score, intéressons-nous à l'écrin. Une salle dédiée aux spectacles en tous genres et à l'acoustique pour le moins critiquable si l'on en croit ceux qui sont allés écouter les Rolling Stones dans cette boîte de Nanterre. Mais surtout un test sur pelouse synthétique. Une première pour le XV de France. Qui n'y est pas du tout préparé. Encore une preuve de l'amateurisme crasse qui préside au destin de l'équipe nationale.

Pas d'entraînement sur cette surface dure qui demande appuis et crampons particuliers. Les Tricolores vont découvrir le terrain en même temps que leurs adversaires : souhaitons que le sol ne se dérobe pas sous leurs pieds. Habitués à évoluer sur des pelouses semi-synthétiques en championnat, les Cherry Blossoms vont bénéficier d'un avantage. Un comble. Comme si le XV de France, déjà bien mal en point, avait besoin de ça.

De la même façon, le staff tricolore a vu son responsable mêlée quitter Marcoussis précipitamment à l'appel de son club, l'UBB, au motif qu'une pénurie de piliers menace l'édifice girondin. Là aussi, on croit rêver. Sauf à penser que le rugby n'est pas encore passé professionnel derrière les grilles de Marcoussis, comment peut-on contracter Jean-Baptiste Poux pour s'occuper des avants français alors qu'il est encore joueur ?

Si j'en crois la rumeur, Sir Clive Woodward devrait traverser le Channel pour superviser le staff tricolore : sans doute est-ce pour éviter que certains en viennent une nouvelle fois aux mains comme ce fut le cas en Afrique du Sud, cet été ! Le chevalier de la Rose en 2003, qu'on a vu calamiteux à la tête des Lions britanniques et irlandais deux saisons plus tard, aurait donc en sa possession un baume du tigre à passer sur les bleus.

On résume : dans une caisse et sur tapis vert synthétique face à une nation classée onzième mondiale, la France peut perdre en ce mois de novembre son quatrième match d'affilée au moment où elle vient d'obtenir l'organisation de la Coupe du monde pour 2023. Heureusement, il y a le Top 14. Ne riez pas. Quarante-huit essais inscrits en sept rencontres lors de la dernière journée : un record ! Et un magnifique Toulon-Racing en clôture.

Franchement, de quoi se plaint-on ? Le fameux principe des vases communicants fonctionne à plein. Pendant que les internationaux français s'échinent à produire le plus mauvais jeu jamais pratiqué par un XV de France depuis le début des années 70, quelques jeunes inconnus de vingt ans et une poignée de briscards en fin de carrière font mousser le Championnat en s'amusant sans contrainte à déguster le doublon.

Du terrain de Raeburn Place, avec sa butte de terre et sa minuscule tribune en bois, à la salle de spectacles baptisée U Arena, des brumes d'Edimbourg au béton de Nanterre, de l'amateurisme éclairé au professionnalisme cynique, ainsi va cette industrie qu'on appelle encore rugby; un sport qui ne se transforme qu'à l'image de notre société laquelle perd en lumière, sous l'éclairage des différentes révélations médiatiques, ce qu'elle gagne en éblouissements.

mardi 14 novembre 2017

Rongé au mythe

Une Marseillaise monte dans la nuit de Saint-Denis, des drapeaux tricolores volent dans le vent sibérien venu de la plaine pour envelopper trois essais : accepté, refusé et de pénalité. Puis quitter le Stade de France sans être transformé, partir comme on est venu, ni subjugué, ni transporté ni même rempli. Peut-être un peu gonflé. Il n'y a qu'un compte-rendu à écrire. Pas de récit.

Il nous manque un pilier droit qui ne serait pas cartonné, une touche d'élévation dans l'alignement, du rôle dans le ruck et une ouverture symphonique. Il nous manque, ô mon capitaine, un leader majuscule qui saurait mettre du baume sur les mots. Sans doute aussi une partition qui éviterait de trop faire sonner les percussions. Nous sommes d'accord.

Après tout qu'importe le score quand on a l'ivresse. Car ce qui fait le plus défaut au rugby français ce n'est pas un titre mondial mais bien une épopée épique qu'on moulerait dans la gothique, une histoire bien illustrée à se transmettre sur un pas, une chanson de geste pour lier l'obus et l'aigu, le pré et le large, celui qu'on croyait frêle et celui qui n'y croyait pas.

Bordeaux, Saint-Denis, Lyon, Nanterre... Nous traverserons l'automne en novembre sans avoir vibré autrement qu'en découvrant ces petits Barbarians se livrer sans retenue dans le sillage vintage d'Aurélien Rougerie, perçant au centre et s'envoyant comme à ses plus belles heures, je veux parler d'un certain soir de finale à Auckland. C'était en 2011. Déjà si loin.

Je n'ai pas l'impression que nous ayons beaucoup vibré depuis l'essai de Thierry Dusautoir au pied des poteaux de l'Eden Park. Six ans d'une traversée du désert, de Marc Lièvremont à Guy Novès en passant par Philippe Saint-André. Aucune remède au bleu pâle. De courtes victoires en lourdes défaites, les test-matches s'enchaînent sans être reliés à un dessein unique qui ferait sens.

Esprits chagrins et chroniqueurs critiques se gaussent depuis une décennie du French Flair. Peut-on leur donner tort ? Pour autant l'abandon de ce qui était encore craint par nos adversaire entre 1994 et 2009 - pour ne parler que de la période récente qui va de Thomas Castaignède à Cédric Heymans - signale la fin d'un savoir-faire, d'une marque, d'un label. Aussi d'une exigence autant que d'une lignée.

Ce récit, j'ai essayé de le tracer et de le transmettre pendant plus de trente ans, de le mettre en musique tout au long d'une rangée de livres. Voilà qu'ils moisissent maintenant dans ma cave entre une caisse de Château La Lagune 2000 et des maillots en épais coton. L'âge, sans doute. Mais je n'ai plus envie d'écrire d'ouvrages sur le XV de France. Il ne m'inspire plus.

Il suffirait pourtant que Teddy Thomas ou Gabriel Lacroix continuent de déborder, qu'Antoine Dupont, Baptiste Couilloud et Sekou Macalou percent encore pour qu'une étincelle jaillisse d'un brandon qu'on croyait éteint. Mais aucun retour de flamme n'a jamais alimenté durablement un feu de joie. Il faut davantage que des sursauts, des réactions d'orgueil et d'amour-propre, des engueulades à la mi-temps dans le vestiaire pour reconstruire un identité.

Coupe du monde 2023 ou pas, Novès, Galthié ou Tartempion, le rugby français a d'abord besoin d'être régénéré. Vous avez entendu le coup de gueule de Rougerie à l'issue de la victoire des Barbarians français sur les Maori All Blacks ? «Faites-les jouer !» Il s'adressait aux clubs de Top 14 en parlant des jeunes talents qui l'entouraient. De quoi nous mettre l'alarme à l'œil.

Mais les faire jouer à quoi ? Au concours de démonte défense ? Le XV de France manque d'essence et d'idées. Aveuglé, il n'a pas de projet, malgré ce qu'on entend à longueur de conférences de stress, et ce n'est pas un cahier de combinaisons enregistré sur le disque dur des ordinateurs de la Résidence à Marcoussis qui lui redonnera corps et âme.

La seule question qui vaille désormais dans le marasme dans lequel s'enlise le rugby de France, c'est le pourquoi?. Pourquoi je joue au rugby et pourquoi suis-je sélectionné en équipe nationale ? Quel sens je donne à mon investissement personnel ? Comment puis-je, grâce à ce formidable levier qu'est le rugby, devenir une meilleure personne ?

Cent chantiers s'ouvriraient pour relancer un jeu «à la française». Tous les jours chaque joueur consentira ne serait-ce qu'à améliorer de 1% chacune des composantes de sa performance individuelle, chaque entraîneur 1% de son management et de son rôle d'éducateur, chaque dirigeant 1% du contenu de ses tâches administratives, marketing et stratégiques.

Les All Blacks, littéralement tombés dans le caniveau en 2004, sont parvenus à se réinventer, s'enfermant à huit (dont Henry, Hansen, Smith, Umaga, McCaw et Lochore) pendant trois jours à Wellington pour repartir d'une page presque blanche. Sont sortis de leur brain storming le Kapa O Pango, de nouveaux commandements, une charte éthique, des rituels fédérateurs, un cadre de vie et un management participatif qu'ils questionnent et font évoluer chaque saison.

Homère propose des dieux et des mythes, des métaphores et des symboles, des aspirations et des tâches. Un récit double propre à forger notre imagination mais aussi notre âme humaine. D'autres auteurs ont ensuite creusé cette veine pour nous laisser en héritage douze travaux. Il n'est pas anodin que l'un d'eux consiste à nettoyer les écuries d'Augias.

mercredi 8 novembre 2017

Haere whakamua

Davantage que l'Angleterre - c'est un défi viscéral surnommé The Crunch - ou que l'Afrique du Sud - longtemps aux antipodes de nos canons, c'est face à la Nouvelle-Zélande que le XV de France passe de plus en plus régulièrement son test de solidité. Et nous sommes tous à la fois inquiets et intrigués avant l'annonce du résultat.

Samedi soir, nous saurons donc si la chute de la maison bleue s'intensifie, si nous amorçons un redressement notable, ou si les All Blacks en fin de saison n'apprécient pas le froid sibérien de la plaine Saint-Denis au point de lâcher une rencontre internationale. Ce dont ils ne sont pas coutumiers, il faut bien l'avouer.

Cette chronique de transition nous permet d'attendre au chaud le bilan des trois rencontres organisées sur quatre jours par la FFR. Soixante-neuf joueurs sont de la revue, certains d'entre eux ayant regagné leurs pénates depuis longtemps sur blessures, preuve que notre jeunesse pratique la dissimulation, celle des microtraumatismes de toutes sortes.

Depuis 1999, les anciens joueurs, les dirigeants et les leaders de jeu néo-zélandais n'ont eu de cesse d'améliorer leurs outils. De John Kirwan à Richie McCaw, quatre générations successives de All Blacks ont cogité pour reconnecter tactique, stratégie, physique, mental mais aussi culture et management. Tout a été refondu puis écrit. Noir sur blanc.

Tout y compris le haka, celui d'une tribu maori ayant été supplanté par une nouvelle version inventée de toute pièces par les joueurs eux-mêmes pour s'approprier le mythe dont ils sont les garants et les messagers. Ca vous en dit beaucoup sur leur investissement. On dépasse là le simple cadre du jeu de balle ovale pour aller vers une quête de sens.

Il arrive aux All Blacks de ne pas gagner des matches. Une fois toutes les dix rencontres. Mais ils ne perdent pas au jeu. Chaque échec est l'occasion pour eux d'avancer vers l'excellence. Il suffit de voir comment ils ont renouvelé leurs formes de jeu et engagé une nouvelle génération après avoir concédé une défaite à Wellington face aux Lions britanniques et irlandais.

Notre histoire récente et la leur sont intimement liées. Depuis la demi-finale de Coupe du monde 1999, d'ailleurs, et l'humiliation de Twickenham. Puis en  2007 à Cardiff, en quart de finale. Deux brasiers qui furent mis à profit pour brûler de vieilles certitudes et renforcer la conviction que - c'est Wilson Whineray qui l'affirmait à François Moncla dès 1961 - les grandes équipes ne meurent jamais.

Avons-nous la charité de croire que le XV de France qui dépérit sur son lit d'hôpital depuis 2012 va pouvoir se lever et marcher ? La naïveté d'imaginer Gabrillagues, Cancoriet, Dupont, Belleau et Doumayrou, lancés par obligation fédérale et injonction du président Laporte quoi qu'on en dise, ré-enchanter une triste réalité qui nous abime depuis maintenant six ans ?

Va de l'avant. Tel est le titre de cette chronique. C'est un des mantras des All Blacks. Pratiquer ce sport fait de solidarité, de dureté mentale, de sacrifices et d'intelligence, et pas seulement au plus haut niveau, c'est se définir en tant qu'être. Le match de Saint-Denis n'est pas simplement une rencontre internationale entre une nation double championne du monde et un XV de France constitué par hasard et nécessité. Non, c'est  un test de caractère.